La crème au fil du temps
La crème provenant du lait, on a tendance à penser que celle-ci existe depuis les débuts de l’élevage au Paléolithique. Les Celtes et les Vikings l’appréciaient. Sur la table, on a vu fleurir la crème dès le Moyen Âge, en accompagnement des légumes ou des fromages frais. Car à cette époque, les liaisons se font plus volontiers avec des amandes broyées, des œufs durs, de la mie de pain. Le goût du gras faisant au fil des siècles place à celui de l’acide, on s’intéresse un peu plus tard à son utilisation en cuisine. Au XVIIe siècle, Vatel, le fameux cuisinier du roi, donne à Louis XIV, et à ses descendants actuels ! le goût de la chantilly. À la cour comme à la rue, la crème devient gourmande. Au siècle suivant, la crème se déguste glacée. Le Procope est célèbre pour ses « glaces à la chantilly ». Les images d’Épinal de l’écrémage artisanal de la laitière s‘achèvent avec l’industrialisation. Ces heures perdues à attendre que la crème remonte du lait pour effectuer une récolte par tamis… Le XIXe siècle a vu arriver l’écrémeuse centrifuge à base de disques coniques du suédois Gustaf de Laval.
Aujourd’hui, la centrifugeuse moderne laisse moins de 0,5 g de matière grasse par kilo de lait écrémé. La crème prend sa place dans la gastronomie bourgeoise naissante qui s’arrondit avec force sauces, farces et desserts. L’usage de la crème se généralise dans les accompagnements et les farces des viandes et des volailles. Mais c’est vraiment le premier chef français, Antonin Carême, au début du XIXe siècle, qui l’impose dans la cuisine et la pâtisserie. Pièces montées, entremets, charlottes qu’il met au point se gorgent de crème flatteuse. Ses nouvelles sauces et ses fameuses recettes de pommes de terre sont elles aussi bien crémeuses. Au siècle dernier, les cuisines régionales s’approprient l’ingrédient pour en faire leur particularisme de terroir. Aujourd’hui, l’usage de la crème s’ancre dans une tendance à l’allégement des recettes préservant une gourmandise ronde et blanche.
Indémodable crème
Déjà au temps de Ramsès, la crème figurait parmi les ingrédients employés à la préparation des repas servis aux pharaons.
Au XIe siècle, en France, elle entre dans la composition d’une des plus anciennes préparations pâtissières : le flan – défini alors comme une tarte à la crème. Plus tard, au XVe siècle, une fois le statut des pâtissiers reconnu, « darioles » et « dauphins », préparés à base de crème, viennent s’ajouter à leurs nombreuses spécialités. Cette période est d’ailleurs marquée par une tendance forte pour les produits laitiers dans l’hexagone. Il faut ensuite attendre le XVIIIe pour que la pâtisserie connaisse un véritable tournant. Les pâtissiers développent leur créativité, inventent des gâteaux aux noms poétiques comme « puits d’amour » ou « jalousie » et usent et abusent de crème chantilly, ingrédient star de tout ce siècle. Antonin Carême marquera le XIXe siècle par ses techniques et ses gâteaux monumentaux. Après lui viendront Jules Gouffé et Auguste Escoffier, avant que Gaston Le Nôtre ne marque de son sceau le milieu de XXe siècle en usant de la crème en mousse, créant ainsi l’entremet moderne. Depuis, les pâtissiers n’ont cessé de développer leur créativité, travaillant à donner aux grands classiques de la pâtisserie française un esprit plus contemporain, sans jamais toutefois oublier les bases, à l’image du Saint-Honoré que David Landriot réalisait au Mandarin Oriental à Paris.
Le dessert à travers les âges
On mange sucré depuis l’Antiquité
Certes pas en mode pâte à choux et crème fouettée. Le plus funky des sweety c’est à cette époque une galette de farine à l’huile et au miel. Ces gâteries rustiques ponctuent à cette période les grands rites de passage. Heureusement, l'humanité prend rapidement goût au gâteau. Déjà Pline évoque les progrès pâtissiers de son temps, « avec des oeufs, du lait, voire du beurre ».
Au Moyen-Âge
Les gaufres fines, fourrées ou enroulées, font fureur. Gastelliers et fouaciers ont même des fourneaux transportables pour les fêtes. Les pâtés en croûte aux fruits sont la spécialité des « pasticiers-hachiers ».
La Renaissance
La Renaissance voit, parmi les autres arts, s’enrichir la pâtisserie. Le premier livre de genre, le Pasticier François ( 1654 ), impose le sucre. Petits choux, meringues et mignardises naissent à cette période faste qui décime les ennemis de la cour à coup de poison inséré dans les pains d'épices. Les confiseurs italiens excellent dans les motifs en sucre cuit. La société est prête pour inventer la fin du repas : le terme dessert, jusqu’alors utilisé pour « desservir la table quand le repas était fini », désigne désormais les petites sucreries digestives. La limite se fait plus nette entre sucré et salé. Beurre, chocolat et café entrent en pâtisserie comme matières de référence et n’en ressortiront plus.
Au XVIIe siècle
Vatel, le fameux cuisinier du roi, donne à la cour le goût des friandises. À Versailles, les pièces montées sont le point d’orgue des fêtes de Louis XIV.
Le XVIIIe reste bec sucré
La crème chantilly foisonne et les glaces sont très recherchées : au Procope, célèbre restaurant parisien, on déguste les deux en même temps. Les gâteaux inspirés comme des jardins de Lenôtre, se cuisinent aux parfums de fleur - violette, jasmin ou rose. Le sucre des Antilles et la vanille se répandent tels des produits de luxe.
Et voilà l’ère Carême
En l’instituant ornementale et luxueuse, Antonin élève au XIXe la pâtisserie au rang d’art. « Les beaux-arts sont au nombre de cinq », dit-il, « la peinture, la sculpture, la poésie, la musique et l’architecture, laquelle a pour branche principale la pâtisserie » !
À l'aube du XXe siècle
La pâtisserie professionnelle est désormais une composante essentielle de l'art culinaire. Techniques et savoir-faire sont très recherchés à l'étranger. La généralisation du froid et l’électricité fondent les grandes pâtisseries urbaines. La ménagère et les boulangers se mettent eux aussi à faire des gâteaux. Le gâteau du dimanche concurrence la consommation de crèmes glacées qui, avec les congés payés, accompagnent les premiers vacanciers.
Jusqu’aux années soixante
La mode est à la crème au beurre et autres entremets parfumés. La glace royale et la pâte d’amandes font un tabac en décoration.
L'heure de la modernité
Après ces années crème renversée et riz au lait, voici l’heure de la modernité. La chasse aux calories allège le dessert. Au moment où l’on écoute les Rolling Stones, on mange des bavaroises, des mousses aux fruits et des biscuits de Savoie.
L'époque contemporaine
La pâtisserie contemporaine s’enrichit de boutiques et de grands noms. Les techniques permettent d’alléger sucre et gras. Dans les restaurants, le chariot de desserts fait place à des compositions plus épurées. Les jeunes chefs instituent le dessert cuisiné empreint de techniques de cuisine. Le légume arrive jusqu’à l’heure du café et le siphon fait s’envoler les textures. Le design s’intéresse lui-même à la création de fin de repas, imposant de nouvelles formes à manger et du sens à déguster.